Lorsque la lumière de la vérité l’aveugle, Œdipe se crève les yeux et quitte Thèbes pour mendier sa vie dans les chemins assisté par sa fille Antigone : fruit d’un mariage incestueux entre lui et sa mère Jocaste. Après la mort d’Œdipe, la fille retrouve Thèbes où elle livre une lutte au roi Créon, son oncle maternel. Cette lutte va lui coûter la vie. Antigone sait que le destin est plus fort qu’elle mais elle ne s’y résigne pas incarnant ainsi les qualités d’un héros tragique qui ne se soumet pas aisément à la force de la fatalité. Au début de la pièce écrite par Jean Anouilh et qui porte le nom d’Antigone, le prologue trace le portrait physique et moral de cette héroïne. Antigone est le personnage central qui nourrit le conflit théâtral et qui établit la cohérence de cette pièce et son éclatement : toute l’histoire se focalise sur Antigone et sur ses attitudes qui éveillent la curiosité du lecteur par son aspect unique et révélateur.De constitution maigre et de couleur noiraude, cette fille se trouve sur la scène absorbée par sa pensée. La pensée de la mort. Elle est silencieuse et « elle ne dit rien ». Elle regarde droit devant elle. Cette attitude, cet isolement et cette posture laissent deviner la position qu’Antigone va adopter face au monde et aux événements. Cette attitude évoque la décision et le défi auxquels s’attache l’héroïne : « elle pense qu’elle va mourir, qu’elle va surgir soudain de la maigre jeune fille noiraude et renfermée que personne ne prenait au sérieux dans la famille et se dresser seule en face de Créon, son oncle, qui est le roi ». Il est vari que la vie est devant elle, étant donné son âge et sa sensibilité, mais Antigone refuse de céder à cette tentation car elle sait que le destin est plus fort que ses désirs. Ismène, sa sœur, l’exhorte à vivre et à profiter du bonheur qui se présente à elle : « ton bonheur est devant toi et tu n’as qu’à le prendre. Tu es fiancée, tu es jeune, tu es belle… ». Créon lui aussi conseille à Antigone d’épouser Hémon, de lui faire un enfant dont Thèbes a besoin et de ne pas s’impliquer dans une affaire de politique : « Ne reste pas trop seule. Va voir Hémon, ce matin. Marie-toi vite ». Oui Antigone aime Hémon mais elle veut qu’il soit dur et fidèle. Il ne doit pas apprendre à dire « oui » ! Le charme ne manque pas à Antigone. Elle a une grande sensibilité et une affectivité remarquable. Elle a une beauté qui charme tout le monde. L’aveu d’Ismène appuie cette idée : pas belle comme nous mais autrement. Il est évident qu’Ismène admire cette beauté intérieure dont dispose Antigone. Cette qualité n’est autre que la patience, la constance, l’amour du devoir, la lutte et la révolte pour une cause juste. La conversation entre la Nourrice et Antigone dans la première scène laisse voir que l’héroïne est une jeune fille à l’âme romantique et lyrique. Elle sait goûter aux charmes de la vie. -La nourrice : d’où viens-tu ? – Antigone : de me promener, nourrice, c’était beau. Cependant, son projet existentiel et son devoir humain et divin l’empêchent de s’aventurer dans les délices des jours. Antigone mène un combat contre la tyrannie et l’injustice. Elle affronte le monde et les autres avec une confiance remarquable. Son projet éthique et esthétique lui tient à cœur. Elle préfère l’accomplissement du devoir périlleux à l’appel de la vie et de l’amour. Quel apaisement et quel courage au moment où elle met fin à sa relation avec Hémon : voilà, c’est fini pour Hémon, Antigone !
La symbolique du sourire d’Antigone:
Dans les situations décisives et délicieuses, Antigone demeure intègre et sa foi ne s’ébranle pas. Elle se comporte toujours avec douceur et laisse s’esquisser un sourire sur ses lèvres. Ce sourire ironique dévoile cette réalité tragique où les personnages sont pris au piège par le destin. Ce sourire met en cause la condition humaine fébrile et injuste. Il est aussi une accusation d’un pouvoir absurde et tyrannique. Le sourire d’Antigone est symbolique. Il traduit cette quiétude de l’âme et de la conscience de l’héroïne. Il brise aussi les certitudes absurdes auxquelles continuent à croire Créon. Ce dernier voit qu’il est sur terre pour mettre l’ordre et pour faire respecter la loi : Antigone, la loi est d’abord faite pour les filles des rois. Lorsque le roi évoque le passé mémorable et douloureux, lorsqu’il évoque l’orgueil d’Œdipe, son péché et la mauvaise descendance, Antigone ne lui prête pas attention : « Antigone ne répond pas ». Cette indifférence ironique donne l’impression au lecteur qu’elle est un être unique qui réagit à sang-froid devant les situations et les paroles offensantes. Par son attitude et par son sourire imperceptible et déclaré, Antigone se moque du roi et secoue sa confiance. Le sourire de l’héroïne est une réaction évocatrice et voulue face à l’absurdité de la condition humaine. Antigone sait qu’elle a un rôle à jouer comme tout le monde. C’est un devoir que de vouloir enterrer son frère Polynice : « Je le devais ». Tout comme Créon qui doit jouer son rôle : faire respecter la loi. Mais la différence entre les deux est que Créon a accédé au pouvoir par hasard et le pratique sans y croire alors qu’Antigone est décidée à accomplir son devoir qu’elle a choisi et auquel elle croit profondément. Le sourire de cette fille « mal peignée » peut être considéré comme un reproche à ceux qui continuent à idolâtrer un pouvoir tyrannique et à nourrir les racines de l’injustice. Ce fait et cette révolte ne sont qu’un prétexte pour véhiculer un message aux français des années quarante, ces français qui collaborent avec l’occupation allemande. Loin du contexte historique qui limite le texte et le rend fermé, l’attitude existentielle de l’héroïne est une leçon adressée à toute l’humanité de tous les temps et de toutes les contrées. Il paraît même q’au 20 e siècle, Jean Anouilh continue à traiter l’essence de la tragédie et sa valeur universelle. Ces variations effectuées au niveau de la structure de la pièce, des thèmes, du langage, des structures culturelles, n’ôtent rien à la quintessence de la tragédie : éveiller l’être qui s’endort au sein de nous et pousser l’homme à ne pas se résigner à toutes les formes d’exploitation quelque soit le prix. C’est cette révolte qui fait la grandeur de l’homme et sa beauté. Je reprends ici les paroles signifiantes d’Ismène : tu es belle autrement. Ismène chante alors cette force intérieure qui donne un vrai sens à la vie de l’héroïne et à l’homme en général. Antigone, à travers le rire, s’apitoie sur le sort de Créon qui n’a pas su grandir et être le maître du temps : Ah, je ris, Créon, je ris parce que je te vois à quinze ans, tout d’un coup ! C’est le même air d’impuissance est de croire qu’on peut tout ! Aux yeux de Créon, le geste d’Antigone est absurde. Mais l’injustice n’est-elle pas absurde ?La fille « à la robe sale » est la conscience d’une humanité qui devrait lutter pour les bonnes causes et se révolter contre toutes les formes du pouvoir impitoyable qui provoque la déchéance des sociétés et de l’homme. Grâce à son caractère si fort, à sa persistance, à son attachement à cette cause juste à laquelle elle croit, Antigone charme son entourage. Cette force de caractère influence le roi Créon qui avoue qu’il fait semblant d’accomplir son devoir et qu’Antigone a raison. « J’ai le mauvais rôle, c’est entendu, et tu as le bon. Et tu le sens. Mais n’en profite tout de même pas trop, petite peste… ». Cependant, la tyrannie de Créon et son caractère sadique « Créon dont les yeux rient » ne font pas fléchir la ténacité d’Antigone. Créon: moi je suis le plus fort comme cela, j’en profite aussi. »Le chantage, la morale, la raillerie, la menace, tout cela ne profite pas à Créon. Même la torture ne change rien à la situation « vous serrez trop, maintenant cela ne me fait plus mal. Je n’ai plus de bras ». Antigone est la plus forte. Créon en est bel et bien conscient. Il ne lui reste qu’à la jeter dans un trou et la priver de la nourriture et de la vie pour museler cette voix qui dit non à l’injustice, cette voix qui a déjà dit qu’elle avait choisi la mort et non la vie. Et pour ne plus voir de face cette petite fille noiraude au sourire ironique déclaré ou imperceptible qui met en cause son pouvoir et tout son être.
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